L’évolution du droit international face aux pertes et dommages climatiques

Le changement climatique provoque des impacts dévastateurs pour de nombreux pays, particulièrement les plus vulnérables. Face à cette réalité, la question des pertes et dommages climatiques est devenue un pilier fondamental des négociations internationales sur le climat. Ce concept désigne les préjudices irréversibles causés par les effets du réchauffement global que ni l’atténuation ni l’adaptation ne peuvent prévenir. Entre catastrophes soudaines comme les cyclones et phénomènes à évolution lente comme l’élévation du niveau des mers, ces dommages soulèvent des questions juridiques complexes sur la responsabilité des États, les mécanismes de compensation et l’équité climatique. L’architecture juridique internationale évolue progressivement pour répondre à ces défis sans précédent.

Genèse et évolution du concept de pertes et dommages dans le droit climatique

Le concept de pertes et dommages a émergé progressivement dans les négociations climatiques internationales, reflétant la prise de conscience croissante des limites de l’adaptation. Dès 1991, Vanuatu, au nom de l’Alliance des Petits États Insulaires (AOSIS), proposait déjà la création d’un mécanisme d’assurance pour compenser les dommages liés à l’élévation du niveau des mers. Cette proposition pionnière n’a pas immédiatement abouti, mais elle a posé les jalons d’une réflexion qui allait s’intensifier au fil des décennies.

C’est lors de la COP13 à Bali en 2007 que les pertes et dommages commencent véritablement à intégrer l’agenda des négociations. Le Plan d’action de Bali reconnaît implicitement la nécessité d’aborder les impacts du changement climatique auxquels il n’est plus possible de s’adapter. Puis, la COP16 à Cancún en 2010 marque une avancée significative avec l’adoption du Cadre de Cancún pour l’adaptation, qui mentionne expressément le besoin de renforcer les actions relatives aux pertes et dommages.

La véritable percée intervient lors de la COP19 à Varsovie en 2013 avec l’établissement du Mécanisme international de Varsovie (WIM) pour les pertes et dommages. Ce mécanisme constitue la première structure institutionnelle dédiée spécifiquement à cette problématique. Il poursuit trois fonctions principales: améliorer la connaissance des approches de gestion des risques, renforcer le dialogue entre parties prenantes, et catalyser l’action et le soutien financier, technologique et de renforcement des capacités.

L’Accord de Paris de 2015 représente un tournant majeur avec son article 8 entièrement consacré aux pertes et dommages. Cette inclusion constitue une reconnaissance formelle de l’importance de cette thématique dans l’architecture juridique climatique internationale. Toutefois, le compromis politique sous-jacent reste ambigu: si l’Accord reconnaît l’importance d’éviter et réduire les pertes et dommages, la décision 1/CP.21 qui l’accompagne précise que cet article ne peut servir de base à des demandes de compensation ou de responsabilité juridique.

La consécration progressive dans les textes juridiques

L’évolution du cadre juridique s’est accélérée ces dernières années. La COP26 à Glasgow en 2021 a vu la création du Dialogue de Glasgow sur les pertes et dommages, processus de deux ans visant à discuter des modalités de financement. Mais c’est la COP27 à Charm el-Cheikh en 2022 qui marque l’avancée la plus spectaculaire avec la décision historique d’établir un fonds spécifique pour les pertes et dommages, répondant à une revendication portée depuis trois décennies par les pays en développement.

Cette trajectoire illustre comment un concept initialement marginal dans les négociations climatiques s’est progressivement institutionnalisé dans le droit international, malgré les résistances persistantes des pays développés craignant l’ouverture d’une « boîte de Pandore » juridique concernant leur responsabilité historique.

  • 1991: Première proposition par Vanuatu au nom de l’AOSIS
  • 2007: Intégration implicite dans le Plan d’action de Bali
  • 2013: Création du Mécanisme international de Varsovie
  • 2015: Reconnaissance dans l’article 8 de l’Accord de Paris
  • 2022: Établissement d’un fonds dédié à la COP27

Cette évolution témoigne d’un processus d’institutionnalisation progressive, où chaque étape a permis de construire une légitimité croissante pour ce concept au sein du régime climatique international.

Cadre juridique actuel: entre avancées et limites conceptuelles

Le cadre juridique international relatif aux pertes et dommages climatiques présente aujourd’hui un paysage complexe, caractérisé par des avancées notables mais confronté à des limitations conceptuelles persistantes. L’article 8 de l’Accord de Paris constitue la pierre angulaire de ce dispositif juridique, reconnaissant formellement « l’importance d’éviter, de réduire au minimum et de remédier aux pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques ». Cette disposition consacre l’autonomie conceptuelle des pertes et dommages, distincte des stratégies d’atténuation et d’adaptation.

Toutefois, la portée juridique de cet article reste délibérément ambiguë. Le paragraphe 51 de la décision 1/CP.21 accompagnant l’Accord précise explicitement que « l’article 8 ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation ». Cette clause de sauvegarde, introduite sous la pression des États-Unis et d’autres pays développés, illustre la tension fondamentale qui traverse ce domaine: la reconnaissance du problème sans attribution claire de responsabilité juridique.

Le Mécanisme international de Varsovie (WIM) demeure l’instrument opérationnel principal pour traiter les pertes et dommages. Son Comité exécutif a développé plusieurs outils, notamment le Réseau de Santiago pour catalyser l’assistance technique et le Groupe d’experts sur les pertes autres qu’économiques. Malgré ces initiatives, le WIM souffre d’un manque chronique de financement et d’une gouvernance contestée, certains pays en développement plaidant pour son placement sous l’autorité exclusive de la Conférence des Parties à l’Accord de Paris (CMA) afin de garantir son applicabilité universelle.

Défis de définition et de catégorisation juridique

Un obstacle majeur à l’opérationnalisation du concept réside dans l’absence de définition universellement acceptée des « pertes et dommages ». Cette lacune n’est pas accidentelle mais reflète des divergences profondes entre pays développés et en développement. Les seconds privilégient une approche large englobant tous les impacts négatifs du changement climatique non évités par l’atténuation ou l’adaptation, tandis que les premiers préfèrent une interprétation restrictive limitée aux impacts résiduels après mise en œuvre de mesures d’adaptation optimales.

La distinction entre pertes économiques et non économiques ajoute une couche de complexité. Si les premières (infrastructures détruites, pertes agricoles) peuvent théoriquement être quantifiées et monétisées, les secondes (perte de biodiversité, patrimoine culturel, identité territoriale) posent des défis considérables d’évaluation juridique. Le droit international de l’environnement traditionnel, largement fondé sur des logiques de compensation financière, peine à appréhender ces dimensions immatérielles.

Un autre enjeu conceptuel concerne la causalité juridique. Établir un lien causal scientifiquement robuste et juridiquement recevable entre les émissions spécifiques d’un État et des dommages particuliers subis par un autre représente un défi considérable. Les avancées en science de l’attribution permettent désormais d’établir la contribution du changement climatique anthropique à certains événements extrêmes, mais la traduction de ces probabilités scientifiques en responsabilité juridique reste problématique.

  • Reconnaissance formelle dans l’Accord de Paris mais exclusion explicite des mécanismes de responsabilité
  • Absence de définition consensuelle des « pertes et dommages »
  • Difficultés d’évaluation des pertes non économiques
  • Défis d’établissement de la causalité juridique
  • Gouvernance contestée du Mécanisme international de Varsovie

Ces tensions conceptuelles expliquent pourquoi, malgré des avancées institutionnelles, la mise en œuvre effective du cadre juridique sur les pertes et dommages reste entravée par des obstacles fondamentaux touchant à la souveraineté des États et à leurs responsabilités différenciées face au défi climatique.

Principes juridiques mobilisables: responsabilité, équité et justice climatique

Face aux lacunes du cadre juridique spécifique aux pertes et dommages, plusieurs principes fondamentaux du droit international peuvent être mobilisés pour renforcer la réponse juridique à cette problématique. Le principe de responsabilité commune mais différenciée, consacré dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), constitue un fondement essentiel. Ce principe reconnaît que tous les États ont une responsabilité dans la lutte contre le changement climatique, mais que cette responsabilité varie selon leurs capacités et leurs contributions historiques aux émissions de gaz à effet de serre.

La doctrine de la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, codifiée par la Commission du droit international, offre un cadre pertinent. Selon cette doctrine, un État engage sa responsabilité internationale lorsqu’il commet un acte illicite (action ou omission) attribuable à cet État et constituant une violation de ses obligations internationales. Appliquée au contexte climatique, cette doctrine pourrait théoriquement fonder des réclamations contre les États manquant à leurs engagements de réduction d’émissions, particulièrement lorsque ces manquements causent des dommages transfrontaliers.

Le principe de prévention impose aux États de veiller à ce que les activités exercées dans leur juridiction ne causent pas de dommages à l’environnement d’autres États. Ce principe, affirmé dans la Déclaration de Rio et confirmé par la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (notamment dans l’affaire des Usines de pâte à papier), implique une obligation de diligence raisonnable dans la prévention des dommages transfrontaliers. Son application aux émissions de gaz à effet de serre reste toutefois complexe en raison de la nature diffuse de la causalité climatique.

Le principe pollueur-payeur, bien qu’initialement développé en droit de l’environnement national, a progressivement acquis une reconnaissance en droit international. Ce principe attribue aux pollueurs la responsabilité de supporter les coûts des mesures de prévention et de lutte contre la pollution. Dans le contexte des pertes et dommages climatiques, il justifierait que les grands émetteurs historiques assument une part substantielle du fardeau financier lié aux impacts climatiques.

Vers un droit à réparation climatique?

La notion de justice climatique émerge comme un cadre conceptuel intégrateur, dépassant les approches purement techniques pour incorporer des dimensions éthiques et d’équité. Cette approche reconnaît que les impacts du changement climatique affectent de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables, souvent les moins responsables historiquement des émissions. Plusieurs instruments de soft law comme les Objectifs de développement durable ou la Déclaration universelle des droits de l’Homme peuvent étayer cette perspective.

L’approche fondée sur les droits humains gagne du terrain dans le traitement juridique des pertes et dommages. Des instances comme le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies ont reconnu que les impacts du changement climatique peuvent constituer des violations des droits fondamentaux, notamment le droit à la vie, à la santé ou à l’autodétermination. Cette perspective a été renforcée par l’avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme reconnaissant le droit à un environnement sain comme condition préalable à la jouissance d’autres droits humains.

Le droit international humanitaire et le droit des réfugiés pourraient également être mobilisés pour traiter certains aspects des pertes et dommages, particulièrement dans les situations de déplacements forcés liés au climat. Toutefois, ces cadres juridiques n’ont pas été conçus pour répondre aux spécificités des migrations climatiques, créant des lacunes de protection pour les « déplacés climatiques » qui ne franchissent pas de frontières internationales.

  • Responsabilité commune mais différenciée comme fondement éthique
  • Doctrine de la responsabilité de l’État applicable aux manquements aux engagements climatiques
  • Principe de prévention des dommages transfrontaliers
  • Approche fondée sur les droits humains et la justice climatique
  • Lacunes persistantes dans la protection des déplacés climatiques

Ces principes juridiques, bien qu’ils ne constituent pas un cadre cohérent et contraignant spécifique aux pertes et dommages, offrent des ressources conceptuelles précieuses pour développer des réponses juridiques plus robustes. Leur mobilisation stratégique, notamment dans le cadre de litiges climatiques, contribue à faire évoluer progressivement le droit international vers une meilleure prise en compte des enjeux d’équité climatique.

Mécanismes de mise en œuvre: entre compensation et solidarité internationale

La mise en œuvre concrète des principes juridiques relatifs aux pertes et dommages climatiques se heurte à des défis considérables. Deux grandes approches conceptuelles s’affrontent: l’approche compensatoire fondée sur la responsabilité et l’approche solidaire basée sur l’assistance. Le fonds pour les pertes et dommages établi lors de la COP27 illustre cette tension. Conçu comme un mécanisme financier dédié, il évite soigneusement toute référence explicite à la compensation ou à la responsabilité historique, privilégiant un langage de coopération et d’assistance aux pays vulnérables.

La question du financement demeure cruciale et controversée. Les estimations des besoins financiers pour faire face aux pertes et dommages varient considérablement, mais atteignent plusieurs centaines de milliards de dollars annuels selon certaines études. Le V20 (groupe des 20 pays les plus vulnérables) estime avoir déjà perdu plus de 525 milliards de dollars au cours des deux dernières décennies. Face à ces montants, les contributions volontaires annoncées lors de la COP27 par quelques pays comme l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande ou le Danemark apparaissent largement insuffisantes.

Des mécanismes innovants de financement sont explorés pour combler ce fossé. La taxe sur les combustibles fossiles proposée par le Premier ministre des Barbades, Mia Mottley, viserait à prélever un pourcentage sur les bénéfices des entreprises pétrolières et gazières. D’autres propositions incluent une taxe carbone internationale sur le transport maritime et aérien ou un impôt de solidarité climatique sur les personnes ultra-riches. Ces mécanismes permettraient de générer des flux financiers prévisibles et substantiels, dépassant la logique d’aide volontaire qui prévaut actuellement.

Dispositifs institutionnels et opérationnels

Au-delà des aspects financiers, des dispositifs institutionnels se développent pour opérationnaliser la réponse aux pertes et dommages. Le Réseau de Santiago, créé lors de la COP25 à Madrid, vise à catalyser l’assistance technique aux pays vulnérables pour prévenir, minimiser et remédier aux pertes et dommages. Ce réseau connecte les pays demandeurs avec les organisations, experts et donateurs capables de fournir un soutien technique adapté.

Les mécanismes d’assurance paramétrique représentent une approche prometteuse, particulièrement pour les événements climatiques extrêmes. Des initiatives comme la Caribbean Catastrophe Risk Insurance Facility (CCRIF) ou l’African Risk Capacity (ARC) permettent aux pays participants de recevoir rapidement des déboursements financiers lorsque certains paramètres prédéfinis (intensité d’un cyclone, niveau de précipitations) sont atteints. Ces mécanismes offrent une réponse rapide mais restent limités face aux phénomènes à évolution lente comme l’élévation du niveau des mers.

Les systèmes d’alerte précoce constituent un autre volet essentiel de la réponse opérationnelle. L’initiative Early Warnings for All lancée par le Secrétaire général des Nations Unies vise à garantir que chaque personne sur Terre soit protégée par des systèmes d’alerte précoce d’ici 2027. Ces dispositifs permettent de réduire significativement les pertes humaines lors de catastrophes, même s’ils n’empêchent pas les dommages matériels.

  • Tension persistante entre approches compensatoires et solidaires
  • Insuffisance des contributions financières volontaires face à l’ampleur des besoins
  • Exploration de mécanismes innovants comme la taxe sur les combustibles fossiles
  • Développement de solutions assurantielles paramétriques
  • Renforcement des systèmes d’alerte précoce pour minimiser les impacts humains

La diversité de ces mécanismes reflète la complexité du défi posé par les pertes et dommages climatiques. Une approche véritablement efficace nécessiterait leur intégration cohérente dans un cadre juridique plus robuste, dépassant la fragmentation actuelle tout en garantissant un financement adéquat, prévisible et équitablement réparti.

Perspectives d’évolution: contentieux climatiques et nouvelles frontières juridiques

Face aux limites des négociations multilatérales, le recours aux tribunaux nationaux et internationaux émerge comme une stratégie alternative pour faire avancer la cause des pertes et dommages climatiques. Les contentieux climatiques se multiplient à travers le monde, avec plus de 2000 affaires recensées à ce jour. Si la majorité de ces procédures concernent des litiges au niveau national, une tendance croissante vise à engager la responsabilité transfrontalière des grands émetteurs.

L’affaire Luciano Lliuya contre RWE illustre cette évolution. Ce fermier péruvien poursuit le géant énergétique allemand RWE devant les tribunaux allemands, réclamant une contribution financière proportionnelle à sa part historique d’émissions (0,47%) pour protéger sa communauté menacée par la fonte d’un glacier. La recevabilité de cette action, reconnue par la Cour régionale supérieure de Hamm, constitue un précédent significatif en établissant qu’une entreprise peut théoriquement être tenue responsable des impacts climatiques causés par ses émissions, même dans un pays éloigné.

Au niveau international, plusieurs initiatives novatrices méritent attention. La Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (COSIS), lancée lors de la COP26, vise à obtenir des avis consultatifs auprès de tribunaux internationaux pour clarifier les obligations des États en matière de protection contre les dommages climatiques. Parallèlement, Vanuatu a mené avec succès une campagne pour l’adoption d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies demandant un avis consultatif à la Cour internationale de Justice (CIJ) sur les obligations climatiques des États.

Innovations juridiques et conceptuelles

De nouvelles approches juridiques émergent pour surmonter les obstacles traditionnels à l’établissement de la responsabilité climatique. La science de l’attribution progresse rapidement, permettant désormais d’établir avec une confiance croissante la contribution du changement climatique anthropique à des événements spécifiques. Des études comme celles du World Weather Attribution peuvent démontrer, par exemple, que certaines vagues de chaleur extrêmes auraient été virtuellement impossibles sans le changement climatique induit par l’homme.

Le concept de préjudice écologique pur, reconnu dans certaines juridictions comme la France depuis la loi sur la biodiversité de 2016, offre des perspectives intéressantes. En distinguant le dommage à l’environnement per se du préjudice subi par les humains, cette approche pourrait faciliter la reconnaissance juridique des pertes non économiques comme la disparition d’écosystèmes ou l’érosion de la biodiversité.

L’émergence du concept d’écocide comme crime international représente une autre frontière juridique prometteuse. Le panel d’experts indépendants présidé par Philippe Sands a proposé en 2021 une définition juridique de l’écocide comme « actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de cause et qui causent des dommages graves et étendus ou durables à l’environnement ». L’inclusion potentielle de ce crime dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale pourrait créer un puissant levier juridique contre les dommages environnementaux les plus graves, y compris certaines formes d’émissions massives de gaz à effet de serre.

La reconnaissance croissante des droits de la nature dans certains systèmes juridiques offre également des perspectives novatrices. Des pays comme l’Équateur, la Bolivie ou la Nouvelle-Zélande ont accordé une personnalité juridique à des entités naturelles comme des fleuves ou des écosystèmes. Cette approche biocentrique pourrait faciliter la reconnaissance juridique de pertes climatiques affectant des écosystèmes indépendamment de leur utilité directe pour les humains.

  • Développement des contentieux climatiques transfrontaliers comme levier de responsabilisation
  • Recours aux tribunaux internationaux pour clarifier les obligations des États
  • Progrès de la science de l’attribution facilitant l’établissement du lien causal
  • Émergence de concepts juridiques innovants comme l’écocide et les droits de la nature
  • Reconnaissance progressive du préjudice écologique pur indépendamment des dommages humains

Ces évolutions dessinent les contours d’un droit international des pertes et dommages en pleine mutation. Si les obstacles juridiques et politiques demeurent considérables, la pression croissante des impacts climatiques combinée à ces innovations conceptuelles pourrait accélérer l’émergence d’un cadre juridique plus robuste et équitable pour répondre à ce défi sans précédent.

Vers un nouveau paradigme de justice climatique globale

L’évolution du droit international des pertes et dommages climatiques ne représente pas simplement un ajustement technique du régime climatique existant, mais appelle à une refondation plus profonde de notre conception de la justice environnementale globale. Cette transformation nécessite de repenser fondamentalement plusieurs dimensions de l’ordre juridique international.

La première dimension concerne la temporalité juridique. Le droit international traditionnel, largement réactif, se trouve confronté à l’impératif d’intégrer une vision prospective face à l’irréversibilité potentielle de certains dommages climatiques. Le concept de justice intergénérationnelle, de plus en plus présent dans les contentieux climatiques comme l’affaire Urgenda aux Pays-Bas ou la décision de la Cour constitutionnelle allemande de 2021, illustre cette nécessaire projection du droit vers le futur. Cette dernière décision a notamment jugé inconstitutionnelle la loi climatique allemande car elle reportait l’essentiel des efforts de réduction d’émissions après 2030, compromettant ainsi les libertés fondamentales des générations futures.

La seconde dimension touche à la territorialité. Le principe de souveraineté nationale, pilier du droit international, se trouve remis en question par la nature transfrontalière et globale des impacts climatiques. Les petits États insulaires comme Tuvalu ou Kiribati, confrontés à la perspective d’une submersion partielle de leur territoire, soulèvent des questions juridiques inédites: un État peut-il conserver sa personnalité juridique internationale si son territoire disparaît? Quels droits conservent ses citoyens? Des propositions émergent pour créer un statut de « nation ex situ« , permettant à ces États de maintenir une forme de souveraineté même après la perte de leur territoire physique.

Réformes institutionnelles et structurelles

Une réforme profonde de l’architecture financière internationale apparaît indispensable pour répondre adéquatement aux pertes et dommages. L’Initiative de Bridgetown, portée par la Première ministre des Barbades, propose une refonte ambitieuse incluant la réforme des institutions financières internationales, la suspension des remboursements de dette en cas de catastrophe climatique, et la création de mécanismes de financement concessionnels spécifiques pour les pays vulnérables.

La gouvernance climatique internationale elle-même nécessite une transformation. Le modèle actuel fondé sur le consensus au sein de la CCNUCC montre ses limites face à l’urgence climatique, permettant à quelques pays récalcitrants de bloquer des avancées significatives. Des propositions de réforme incluent l’introduction de mécanismes de vote à la majorité qualifiée pour certaines décisions, ou la création d’un Conseil de sécurité climatique au sein des Nations Unies doté de pouvoirs contraignants.

L’intégration plus systématique des savoirs autochtones et des connaissances locales représente une autre dimension essentielle de cette refondation. Ces systèmes de connaissances, longtemps marginalisés dans le droit international dominé par une épistémologie occidentale, offrent des perspectives précieuses sur la résilience face aux changements environnementaux et des approches alternatives à la monétisation des pertes culturelles et spirituelles.

La reconnaissance du droit à un environnement sain comme droit humain fondamental, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2022, constitue une avancée significative qui pourrait servir de levier pour renforcer les obligations des États en matière de prévention et réparation des dommages climatiques. Cette reconnaissance établit un lien formel entre protection environnementale et droits humains, facilitant potentiellement l’accès à des mécanismes de recours pour les victimes de dommages climatiques.

  • Intégration nécessaire de la justice intergénérationnelle dans le droit international
  • Remise en question des conceptions traditionnelles de la souveraineté territoriale
  • Réforme de l’architecture financière internationale pour un soutien adéquat aux pays vulnérables
  • Transformation de la gouvernance climatique au-delà du modèle consensuel
  • Reconnaissance du droit à un environnement sain comme fondement d’un nouveau paradigme juridique

Ces évolutions dessinent les contours d’un droit international plus équitable, capable de répondre aux défis sans précédent posés par les pertes et dommages climatiques. Ce nouveau paradigme juridique nécessite de dépasser les clivages traditionnels entre pays développés et en développement pour forger une compréhension véritablement commune de la responsabilité climatique, fondée sur les principes de justice, d’équité et de solidarité globale.